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    L’Impact Financier De La Multipropriété De Clubs

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    Cet article constitue la troisième partie de la série « Le Private Equity dans le football: révolution ou pari risqué ? », qui analyse la manière dont les fonds d’investissement redessinent le paysage du football, en y injectant des capitaux et en redéfinissant la notion même de propriété des clubs, entre potentiel de transformation et risques considérables. Dans la première partie, nous avons exploré comment l’instabilité financière et l’après-pandémie ont ouvert la voie à de nouveaux types de propriétaires dans l’industrie du football. La deuxième partie s’est intéressée à la manière dont ces fonds perçoivent les clubs comme des actifs au sein d’un portefeuille d’investissement plus large, à la logique du multi-club ownership (MCO), et à ses implications sur la gouvernance, la performance et la durabilité à long terme. La troisième partie décrira le processus d’acquisition des clubs de football. Ce nouvel article vise désormais à évaluer si les modèles de propriété multi-club (MCO) génèrent de réels bénéfices financiers durables ou s’ils représentent, au contraire, un risque à long terme pour les clubs et l’ensemble de leurs parties prenantes.

    Lorsqu’un fonds de private equity acquiert un club de football, il n’achète pas simplement une équipe : il investit dans un actif qu’il s’attend à transformer, optimiser, puis revendre avec profit. Mais cette logique est-elle compatible avec la réalité financière singulière du football ? Tout dépend de la manière dont on définit le succès : en indicateurs financiers ou en résultats sportifs.

    Stratégie d’investissement: de la restructuration à l’optimisation

    Les acteurs du private equity appliquent généralement un schéma d’intervention inspiré du redressement d’entreprises. Dans le football, cela se traduit souvent par:

    Restructuration de la dette

    Restructuration de la dette: de nombreuses acquisitions impliquent l’absorption ou la réorganisation de la dette du club. Cette approche peut réduire la pression financière à court terme, mais dans certains cas, une nouvelle dette est contractée pour financer l’acquisition elle-même (selon un modèle de type LBO), ce qui accroît le risque futur.

    Exemple: Burnley FC a été racheté par ALK Capital en décembre 2020 pour environ 170 millions de livres sterling, via un montage à effet de levier (LBO) qui a transféré près de 60 à 65 millions de dettes sur le club lui-même, garanties par ses propres actifs. À la suite de sa relégation en mai 2022, le chiffre d’affaires du club est passé de 123,4 millions à 64,9 millions de livres, soit une chute de près de 50 %, principalement due à la division par deux des revenus audiovisuels (de 110 millions à 47,8 millions de livres). Ce revers brutal a mis en évidence la fragilité du modèle LBO, et démontrant à quel point une descente sportive peut rapidement faire s’effondrer un montage financier à effet de levier.

    Ce revers brutal a mis en évidence la fragilité du modèle LBO, et démontrant à quel point une descente sportive peut rapidement faire s’effondrer un montage financier à effet de levier.

    Maîtrise des coûts et recherche d’efficacité

    Les clubs détenus par des fonds de private equity mettent souvent en place des plafonds salariaux plus stricts, des structures de gestion allégées et une prise de décision centralisée afin de réduire les dépenses.

    Exemple : sous la direction de RedBird Capital, le Toulouse FC a drastiquement réduit sa masse salariale et ses effectifs, tout en misant sur de jeunes talents sous-évalués. Cette stratégie a conduit le club à une promotion en Ligue 1, puis à une victoire en Coupe de France en 2023.

    Investissement dans les infrastructures

    Les rénovations de stades, la construction de nouveaux centres d’entraînement et le développement de plateformes digitales ne sont plus perçus comme de simples dépenses, mais comme de véritables leviers de création de valeur à long terme.

    Exemple: l’AC Milan et l’Inter, désormais détenus respectivement par les fonds américains RedBird et Oaktree, ont jugé la rénovation complète du stade Giuseppe Meazza (San Siro) financièrement non viable. Les deux clubs sont donc en discussion pour racheter conjointement à la municipalité de Milan le stade historique construit en 1926 ainsi que ses terrains environnants, dans le cadre d’un projet de réaménagement estimé à 1,2 milliard d’euros incluant une dimension immobilière et commerciale plus large. Ce nouveau projet prévoit une hausse potentielle de plusieurs centaines de millions d’euros de la valorisation cumulée des deux clubs au cours des prochaines années.

    Recrutement intelligent

    Le scouting basé sur la data et le player trading deviennent des priorités stratégiques. Le recrutement est désormais perçu comme un levier financier, et non plus uniquement comme une nécessité sportive.

    Exemple: sous la présidence de Gérard Lopez, avec un soutien financier initialement lié à Elliott Management, le LOSC Lille a mis en place un modèle de transferts axé sur la valorisation des talents sous-évalués. Le club a ainsi vendu Nicolas Pépé à Arsenal en 2019 pour 80 millions d’euros, un record pour un joueur africain, après l’avoir recruté pour seulement 10 millions. En 2020, Lille a également négocié le transfert de Victor Osimhen à Naples pour environ 70 millions d’euros, confirmant la rentabilité de cette approche fondée sur l’identification, le développement et la revente stratégique des joueurs.

    Ces stratégies visent à créer un club plus « investissable », capable de faire croître ses revenus tout en stabilisant ses coûts. Cependant, derrière les tableaux Excel se cachent des indicateurs plus subtils et immatériels, souvent ignorés par les logiques purement financières.

    Attentes de rentabilité: création de valeur vs vision sportive

    Le private equity ne vise généralement pas l’équilibre financier, mais la multiplication de la valeur. Un club acquis pour 100 millions d’euros peut être destiné à être revendu 500 millions cinq à sept ans plus tard. Cette logique de rendement guide la majorité des décisions stratégiques prises par les nouveaux propriétaires.

    Expansion commerciale

    Augmenter les revenus grâce à des partenariats mondiaux, au merchandising, au contenu digital et à une présence accrue sur les marchés émergents.

    Exemple: CVC Capital Partners a injecté 2,1 milliards d’euros dans les droits médiatiques de LaLiga en échange d’une participation de 8,2 %. L’objectif est d’aider les clubs à se moderniser et à tirer parti de la consommation numérique mondiale.

    Valorisation des actifs

    Notamment dans les modèles multi-clubs, les joueurs sont formés et transférés entre les équipes affiliées afin de maximiser le rendement du capital humain.

    Exemple: le réseau Red Bull, comprenant notamment Leipzig et Salzbourg, permet une détection, un développement et une circulation des talents à travers différents marchés, optimisant ainsi la création de valeur sportive et financière.

    Stratégie de sortie planifiée

    Dès le premier jour, la plupart des fonds de private equity œuvrent en vue d’une sortie clairement définie, qu’il s’agisse d’une revente, d’une introduction en bourse ou d’une intégration dans un conglomérat sportif plus large.

    Exemple: la gestion à court terme d’Elliott Management au Milan AC en est une parfaite illustration. Le fonds a restructuré le club en 2018, puis l’a revendu quatre ans plus tard à RedBird pour 1,2 milliard d’euros, doublant ainsi sa valorisation initiale.

    Cependant, si ces stratégies offrent souvent un rendement financier attractif, elles entrent en conflit avec les rythmes et l’incertitude du succès sportif. Construire une académie, instaurer une culture de club, ou entretenir un lien durable avec les supporters ne s’intègre pas aisément dans un modèle de rentabilité à cinq ans.

    Facteurs de risque: le gain financier face à la culture du football

    L’impact financier de la propriété par des fonds de private equity n’est pas uniformément positif. Plusieurs risques majeurs se sont manifestés dans de nombreux clubs:

    Court-termisme

    La pression pour atteindre des objectifs de rentabilité peut conduire à privilégier les gains rapides, comme le trading de joueurs ou la réduction des budgets, au détriment de la cohérence sportive à long terme.

    Exemple: sous la direction de 777 Partners, le Standard de Liège a connu plusieurs changements de direction en l’espace de deux saisons, entraînant des performances instables et une frustration croissante des supporters. En mai 2024, un tribunal belge a autorisé la saisie de l’ensemble des actifs de 777 Partners en Belgique, incluant les comptes du club, la société propriétaire du stade et les parts détenues, à la suite d’une action en justice intentée par l’ancien propriétaire Bruno Venanzi et les actionnaires du stade pour paiements impayés.

    Surendettement

    Les clubs avec une dette liée à leur acquisition s’exposent à un risque existentiel en cas de contre-performance sportive ou financière.

    Exemple: le rachat de Burnley FC via un montage à effet de levier (LBO) illustre parfaitement cette vulnérabilité; un échec dans la course à la promotion aurait pu compromettre gravement la solvabilité du club.

    Perturbation de la gouvernance

    Le private equity entraîne souvent des changements rapides au niveau des instances dirigeantes, et une centralisation du pouvoir qui peut affaiblir la direction locale.

    Exemple: le Hertha Berlin, autre club détenu par 777 Partners, a connu de multiples changements de direction entre 2021 et 2023, ce qui a contribué à sa relégation et à une forte instabilité interne.

    Le profit avant la passion

    Le mécontentement des supporters grandit lorsque les clubs sont réduits à de simples actifs financiers. Les décisions liées au branding, à la tarification des billets ou aux partenariats commerciaux, prises sans consultation locale, provoquent souvent de vives réactions.

    Exemple: en 2023, les supporters d’Everton ont fermement protesté contre le projet de rachat par 777 Partners, dénonçant les finances opaques du fonds et son historique controversé dans la gestion d’autres clubs.

    Perte de valeur immatérielle

    Les clubs ne sont pas de simples entreprises, ce sont des vecteurs de mémoire, d’identité et de fierté régionale. Cette valeur émotionnelle, souvent invisible dans les stratégies pilotées par les fonds de private equity, est pourtant essentielle à leur âme.

    Les clubs ne sont pas de simples entreprises, ce sont des vecteurs de mémoire, d’identité et de fierté régionale.

    Exemple: comme on a pu le voir avec Vasco da Gama ou le Genoa, les supporters se sont opposés aux changements de propriété qui ont modifié l’identité visuelle du club, son ancrage communautaire ou ses traditions de supporters.

    Conclusion

    Les améliorations financières sont souvent présentées à travers des bilans assainis et des marges d’EBITDA en hausse. Mais tous les gains ne sont pas structurels. Certains clubs affichent une « croissance » issue de ventes d’actifs ou de coupes à court terme, plutôt que d’une véritable expansion durable des revenus. Ces chiffres traduisent souvent des améliorations artificielles : ventes de joueurs, réductions de coûts ou injections ponctuelles de capital.

    Par ailleurs, peu de fonds de private equity prennent en compte les indicateurs immatériels tels que la confiance, le lien culturel ou la valeur sociale d’un club de football. Ces éléments intangibles n’apparaissent pas dans les rapports annuels, mais leur érosion est profondément ressentie par les supporters. Ces coûts, plus difficiles à mesurer, sont sans doute les plus dommageables à long terme.

    Le private equity peut apporter une expertise financière précieuse et une modernisation nécessaire au football. Mais lorsque l’ingénierie financière prend le pas sur les valeurs sportives, les clubs risquent de devenir de simples coquilles vides, dépourvues d’âme. Le véritable enjeu n’est pas tant de savoir si ces stratégies fonctionnent, mais qui en profite réellement : les supporters, l’héritage et le projet sportif… ou simplement les bilans comptables des actionnaires ?

    Certes, la restructuration financière et la croissance commerciale constituent des piliers essentiels de la transformation d’un club. Mais sans résultats sur le terrain, ces efforts perdent tout leur sens. Dans le prochain article, nous verrons si le playbook stratégique du private equity peut réellement conduire au succès sportif, ou si le jeu, fidèle à son essence, demeure résolument insaisissable à la logique financière.

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    Abdeslam El Feniche
    Abdeslam El Feniche
    Abdeslam El Feniche, FIFA Licensed Agent, holds a Master’s in Financial Engineering and five years of Big Four experience in private equity and asset management. Combining finance expertise with a passion for football, he guides players strategically, leveraging leadership, industry knowledge, and a keen interest in sport and innovation.

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